5 octobre 2016

 

La (non-)figure du restaurateur dans la fiction (3)

 

 

Je n’avais jamais lu Marc Lévy, peu attirée par les best-sellers affichés comme « le plus vendu » chez les marchands de journaux en gare, et n’ai lu La prochaine fois que parce qu’une consœur m’a indiqué qu’on y parlait de restauration.

 

Ce qui est assez marquant dans ce livre, c’est que si on y parle de restauration, on n’y croise en fait pas l’ombre d’un restaurateur ! Cette histoire, très mal écrite à mon goût, que j’avoue avoir lu en diagonale tant elle m’est tombée des mains dès le début – comment cet auteur peut-il faire tant parler de lui, c’est pour moi un mystère – cette histoire, donc, est celle de Jonathan Gardner, « expert » américain en peinture (la nature de son expertise restera assez obscure) et de sa rencontre tourmentée avec une belle galeriste anglaise qu’il a déjà rencontrée – et aimée bien sûr – dans une autre vie. Je crois n’avoir pas tout suivi à ce sujet. Ce sont en tous cas des personnes très riches, qui ne semblent pas beaucoup travailler mais qui prennent facilement l’avion sur un coup de tête entre les Etats-Unis et l’Europe pour prendre des cafés et organiser la vente des œuvres d’un artiste russe du 19è siècle, et particulièrement de son mystérieux dernier tableau que personne n’a jamais vu.

 

J’ai cherché, mais pas de restaurateur dans cette histoire, pas d’atelier ni de description d’intervention non plus, donc, et pourtant l’ « expert » parle bien de restauration : « Mon métier a aussi ses côtés scientifiques. Le temps altère la peinture et rend bien des choses invisibles à l’œil. Vous n’avez pas idée des merveilles que nous découvrons lorsque nous restaurons une toile. » En effet, on n’en aura pas idée, d’autant que, qui est ce « nous » ? Mystère.

 

Le seul passage un peu cohérent, mais amené comme un cheveu sur la soupe, est finalement la visite de cet expert au C2RMF, où soudain l’écrivain se mue en journaliste. Il a fait la visite, ça c’est sûr, et en est ressorti ébloui et lyrique : « l’un des laboratoires les plus secrets du monde », où travaillent 160 personnes (l’organigramme de 2015, que l’on trouve en ligne sur leur site, ne comprend « que » 28 salariés – administratifs, chercheurs et conservateurs, et je doute que 132 restaurateurs travaillent en permanence là-bas)… Mais ce temple de la technologie et de la modernité ne parvient cependant pas à résoudre le mystère de ce tableau. Mystère que va bien sûr résoudre tout seul l’expert, un soir où il le contemple sous la lune, dont la lumière va révéler un portrait caché, ainsi que la signature de l’artiste ! Ben voyons. Avis aux spécialistes de la peinture, si l’imagerie scientifique ne donne rien, essayez donc la pleine lune !

 

Cela dit, même au C2RMF, toujours pas un restaurateur en vue. Mais tout à la fin du livre, le conservateur du musée où le fameux tableau va finalement trouver sa place détaille cependant à des visiteurs passionnés : « La toile que vous contempliez longuement cet après-midi se nomme La Jeune femme à la robe rouge. Elle a été rendue à son état original grâce au travail de restauration acharné entrepris par un commissaire-priseur […] ». Tiens, c’était ça la spécialité de notre « expert » : commissaire-priseur ? A moins qu’on ne parle de son ami Peter qui le suit tout au long de l’histoire et assiste désabusé à l’histoire d’amour qui se tisse entre l’expert et la galeriste – dans une autre vie peintre et modèle ? Mais qui a déjà entendu parler d’un commissaire-priseur-restaurateur ? Et ce travail acharné, c’était quand dans l’histoire ? Dans l’avion entre Boston et Londres, peut-être… Ou bien…

 

Je n’ai pas tout suivi. Et je ne suis pas certaine que ce ne soit dû qu’à la lecture en diagonale. Mais ce qui est sûr, c’est que, dans le monde de Marc Lévy, le restaurateur n’existe pas.

 

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

7 septembre 2016

 

La figure du restaurateur dans la fiction (2)

 

 Pour s'accorder avec la rentrée littéraire, voici une nouvelle figure de restaurateur dans la fiction. Il n'est pas tout nouveau puisqu'il s'agit d'un roman policier publié en 1990, Trois carrés rouges sur fond noir, de Tonino Benacquista.

 

Le sujet de ce polar, assez intéressant pour son évocation du milieu de l'art contemporain à l'époque, est la quête d'un accrocheur d'oeuvres d'art pour comprendre l'agression, liée à une oeuvre énigmatique, dont il a été victime dans la galerie et qui lui a sectionné une main. La restauration n'y est qu'évoquée brièvement, à travers le personnage d'un restaurateur de peintures qu'on croise deux fois au cours de l'histoire.

 

[Au tout début du livre, une exposition est en cours d'accrochage, juste avant le vernissage - mais alors vraiment juste avant ! Les accrocheurs ont du mal avec l'oeuvre qui est l'objet de l'histoire]

 

"Jean-Yves, le restaurateur, n'arrête pas de se marrer en nous regardant tourner. Il est allongé par terre, avec ses gants blancs, en train de retoucher un coin de toile endommagée. Il a presque fini, lui.

- Plus qu'un quart d'heure ! il gueule, pour m'énerver un peu plus."

 

[Nettement plus loin dans le récit, le personnage principal s'est fait tabasser et il se regarde dans un miroir pour constater les dégâts]

 "Briançon [un médecin] ne pourrait rien arranger. Seul un restaurateur pourrait intervenir. Jean-Yves. Il arriverait avec sa petite mallette et se pencherait sur moi avec des gants et un compte-fils pour isoler la fibre abîmée. Ensuite, dans un coin, allongé par terre, il chercherait des heures durant l'exacte nuance du pigment, et de la pointe du pinceau il retoucherait avec une patience d'ange les zones malades. Je l'aimais bien, Jean-Yves, avec ses petites lunettes rondes et ses moustaches. A la longue il s'était spécialisé dans les blancs, on l'appelait de tous les coins d'Europe pour réunifier un fond de toile."

 

Brève apparition donc, mais on peut relever deux choses particulières chez ce restaurateur : il ne quitte jamais ses gants blancs, et, plus étrange, semble ne travailler qu'allongé par terre. Passons sur la position, je n'ai jamais vu aucun restaurateur s'allonger par terre pour intervenir sur une toile... Peut-être sur une oeuvre un peu complexe, mais je ne vous dis pas l'inconfort. Pour ce qui est des gants blancs, avez-vous déjà vu un restaurateur travailler avec des gants de coton ? Des gants de latex, nitrile, vinyle, oui, mais allez essayer de manipuler un outil avec précision en portant des gants de coton... D'ailleurs, même pour manipuler certaines oeuvres et documents, on revient sur cette idée : voir l'article de C.A. Baker et R. Silverman "Fausses idées sur les gants blancs" publié dans International Preservation News n°37 (2005), p. 10 : http://www.ifla.org/files/assets/pac/ipn/ipnn37.pdf

 

L'évocation n'oublie pas de relever "la patience d'ange" du restaurateur, on ne peut pas y couper... Ce n'est pas faux que la patience soit requise dans le métier de restaurateur, mais c'est un tel cliché, et qui passe bien souvent avant tout le reste : la capacité de diagnostic, de réactivité, d'imagination devant des cas et des situations de travail toujours différents...

 

Je finis enfin sur cette dernière phrase qui me fait rêver... "on l'appelait de tous les coins d'Europe pour réunifier un fond de toile"... Je vis peut-être loin des hautes sphères muséales, mais pour ma part je n'ai jamais entendu parler d'un tel restaurateur, connu dans toute l'Europe pour sa compétence sur une couleur. Il y a tellement de restaurateurs de peinture, comment peut-on penser qu'une telle notoriété soit possible ? En-dehors de mon cercle professionnel, je ne suis pas capable de citer un restaurateur qui ait une telle aura. D'ailleurs, comment serait-ce possible puisque lorsqu'on parle d'une restauration dans la presse, on cite souvent le nom du conservateur en charge de l'oeuvre, mais il est vraiment rare que le nom des restaurateurs y soit cité ?

 

 Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

 

 


http://thehproject.net/fr/la-forteresse-matrera-ravive-et-democratise-le-debat-sur-la-restauration-historique/
La tour de Matrera, avant et après intervention par l’architecte Carlos Quevedo Rojas

30 mai 2016

Des diverses interprétations des théories de la restauration

 

Je n’avais jamais entendu parler de la tour de Matrera, datant du 9è siècle et située dans le sud de l’Espagne. Au mois de mars, cette tour est devenue célèbre grâce, ou à cause d’une intervention de restauration. Quelques titres à sensation ont attiré mon attention :

 

'What the hell have they done?' Spanish castle restoration mocked (The Guardian, 9 mars 2016) ; Spanish castle restoration ridiculed after ‘disastrous’ repair project (The Telegraph, 10 mars 2016) ; Il transforme un château médiéval en une vulgaire tour de béton (Le Point, 10 mars 2016) ; Espagne. Après le "Christ défiguré", le "désastre" du château mauresque (Ouest-France, 14 mars 2016)Massacre à la bétonneuse d’une tour en Espagne (Batiactu, 15 mars 2016)...

 

En recherchant quelques informations sur cet édifice, je n’ai pas trouvé grand-chose à part les multiples articles de presse aux titres racoleurs. Il semble donc qu’il ne s’agissait pas d’un monument très célèbre avant cette histoire. Sur Wikipédia, une ligne décrit l’édifice comme un château ; j’en déduis donc qu’il ne reste de ce château que la tour actuelle.

 

Il est vrai que l’intervention est spectaculaire, et je ne savais pas que l’on traitait les monuments en ruine comme les fragments archéologiques, c’est-à-dire en restituant les volumes manquants à l’aide d’un matériau de comblement « neutre », afin de constituer une « restauration perceptible[i] ».

 

Un exemple de restauration perceptible d’une cruche gallo-romaine, fin 1er-déb.2è s av. JC, Musée archéologique d'Arlon, © Eve Bouyer

 

Mais plus que le choix de restauration, ce qui m’a semblé intéressant, car symptomatique, c’est le traitement par des médias (non spécialisés) de l’événement, qui ne connaissent manifestement pas le domaine de la conservation-restauration du patrimoine et privilégient le sensationnel, tout en se copiant-collant les uns et les autres.

 

Tout d’abord, les articles ne détaillent pas vraiment l’état de l’édifice avant intervention. Ils précisent qu’elle a résisté aux attaques mauresques pendant plus de 1000 ans, mettant ainsi en avant sa solidité. Rien de plus, sauf qu’en 2013 de fortes pluies ont fragilisé ce monument de robustesse. Il est étrange quand même de penser qu’avant cette date, la tour se trouvait en parfait état : dans ce cas, comment de simples fortes pluies ont pu quasiment la mettre à bas ? On peut raisonnablement penser, puisque rien d’autre n’est dit dans les articles, que, comme beaucoup de monuments médiévaux, si aucune étude, aucune mesure de conservation préventive n’avait eu lieu avant ces pluies, cela laisse à penser que l’édifice était déjà en danger, et que les aléas climatiques n’ont pas arrangé la situation. On s’est donc retrouvé avec un édifice présentant d’énormes problèmes de structure, et comme tout bâtiment qui n’a pas été entretenu, le chantier de restauration est très important.

 

Evidemment, aucun article ne met en avant qu’il a bien dû y avoir en amont au moins une proposition de la part de l’architecte, et donc une acceptation de son projet par le maître d’ouvrage… Qui se défend des accusations portées sur son intervention en affirmant qu’il n’a fait que suivre les consignes données par les propriétaires et appliquer les règles de l’art : « consolider les éléments fragilisés, différencier la structure d’origine des nouveaux éléments, et redonner sa forme d’origine à la tour. »

 

En ce qui concerne le processus d’intervention, les journaux ne font pas dans le détail : « le château a été recouvert de ciment », alors qu’il apparaît clairement sur les photographies que le ciment (s’il s’agit bien de ce matériau, les articles parlent aussi de béton) agit comme support des pierres et qu’il est posé en retrait de celles-ci.

 

Et bien sûr, il fallait s’y attendre, comme il s’agit de l’Espagne, tous les articles comparent cette intervention d’un professionnel avec celle, pourtant incomparable, d’une vieille dame sur le Christ de Borja… Quelle originalité !

 

Enfin, comme il s’agit d’articles en ligne, il y a les commentaires des internautes. Nous en avons tous l’expérience : c’est souvent affligeant de bêtise. Eh bien cette fois-ci, ce sont plutôt ces commentaires qui rééquilibrent le débat, puisqu’étonnamment une grande partie d’entre eux loue le travail de l’architecte, et même de façon lyrique, comme ici sur le site Batiactu :

« Magnifique restauration. Un parti « affirmé » qui, comme un écrin exalte la forme et la structure d'origine. Le bandeau en « lévitation » qui contient un pan de mur détaché du reste de la structure et une idée remarquable. L'architecte a parfaitement respecté les contraintes législatives tout en s'inscrivant dans une démarche résolument contemporaine particulièrement dans le traitement du béton. »

 

Pour en finir avec cette polémique stérile, mettons plutôt l’accent sur une intervention très pertinente qui a été effectuée en Autriche sur le Heidentor, arc de triomphe romain du 4è siècle : après stabilisation des ruines, un simple dispositif optique permet au spectateur de « restaurer » lui-même le monument. Finalement, l’intelligence couplée à la pédagogie et à un travail de conservation préventive sur le long terme, n’est-ce pas la clef d’une intervention réussie, et le tout, avec une économie de moyens ?

 

(source : https://seminesaa.hypotheses.org/6152)

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

 

 


[i] telle que la qualifie Eve Bouyer dans son intéressant article « Quelques pistes de réflexion sur la restauration perceptible des vases céramiques antiques » publié dans Ceroart EGG 2010 – Horizons (https://ceroart.revues.org/1618).

 

 

8 mars 2016

Le jeu des 7 erreurs

 

Dans le dernier billet, je vous proposais de relever certains traits de la profession déformés par l’auteur de La fille aux yeux de Botticelli, voire complètement erronés. En voici sept :

 

« Torelli […] avait la réputation d’accomplir des miracles »

Le terme de miracle signifie en langage courant un fait mémorable, incroyable et bénéfique, quelque chose considéré comme très difficile. La conservation-restauration est censée en effet être toujours bénéfique pour les biens culturels, quand elle est menée de façon rigoureuse et respectueuse, parfois difficile mais pas toujours, logiquement jamais incroyable : normalement tout s’explique dans le rapport de restauration, qui devrait être mémorable mais qui de fait est souvent oublié – quand il est lu – une fois rangé sur l’étagère.

 

« L’on prononçait son nom avec une sorte de respect mêlé de crainte. »

Je connais des conservateurs que l’on craint, mais un restaurateur ? J’en doute. C’est peut-être une histoire de pouvoir. Quant au respect… Chacun d’entre nous s’est entendu dire des choses comme « Tu arrives en pleine discussion entre intellectuels » lorsque l’on se propose de partager la pause-café avec des chercheurs, ou, dans une institution où l’on intervient depuis des années : « La qualité de votre travail n’est pas remise en cause, mais bon, le jeu des marchés publics, c’est de renouveler les intervenants ! »

 

« la grosse main maculée de peinture de Panuzzi » ; « [des] jeunes gens vêtus de tabliers en toile et de jeans maculés de poussière de plâtre »

Trouvez-moi un conservateur-restaurateur que vous avez vu un jour au travail les mains maculées de peinture, et je veux bien écrire un article par jour ! Ce sont peut-être les professionnels qui portent les tabliers ou les blouses les plus propres – peut-être après les pharmaciens ou les secrétaires médicales. J’en porte moi-même rarement, c’est tout dire !

 

« Mais vous le savez aussi bien que moi, […] les restaurateurs sont des menteurs pathologiques. […] Chez eux, le retard est une question de principe. »

Pour ce qui est du retard, on ne va pas nier que cela arrive. La question intéressante est de savoir pourquoi. Sur le mensonge, je ne m’étendrai pas, je renvoie au code d’éthique de la profession, qui, de par sa rigueur et son exigence, me paraît pouvoir exclure tout lien entre conservateur-restaurateur et mensonge (sauf exception) : http://www.ffcr.fr/files/pdf%20permanent/textes%20reference%20ecco.pdf

Alors, le retard ? Parce que nous nous tournons les pouces toute la journée ? Pas vraiment. Si nous n’avons pas assez d’activité, il y a des chances pour que le travail soit rendu à temps (à moins qu’on ne doive avoir un boulot alimentaire à côté pour tenir…). Mais d’un autre côté, à certains moments de l’année, le dernier trimestre par exemple, quand tout le monde nous passe commande à la fois, avec des factures qui doivent être rendues avant la clôture de l’exercice annuel (qui s’étale de septembre à décembre), ça peut devenir un exercice de haut vol ! Quant à refuser du travail à cette période-là… quand on sait que l’année démarre difficilement au mois de mars, au moment du vote des budgets, et ralentit grandement pendant les mois d’été, ça ne nous laisse pas beaucoup le choix ! Pour peu que dans les commandes, s’intercale une urgence : le traitement d’un sinistre, prioritaire bien sûr, ou encore une œuvre devant partir en exposition le mois d’après (au passage, remarquons que cette urgence aurait pu ne pas en être une si le traitement avait été prévu en amont)… c’est tout le planning qui s’en trouve surchargé et bouleversé.

 

« Divers artisans sculptaient des statues à coups de ciseaux, étalaient des enduits et repeignaient des toiles élimées à petits coups de pinceau. »D

Vous parlez bien d’un atelier de restauration ? Pas plutôt un atelier de fabrication de décors de théâtre ?

 

« Il avait affaire à de véritables artistes, à des maîtres en la matière »

Les conservateurs-restaurateurs sont souvent comparés à des artistes, ce qu’ils ne sont nullement (ou alors, en-dehors de leur travail). La fiche métier de l’Union Nationale des Professions Libérales (http://www.unapl.fr/files/document/fiches-metiers/conservateur-restaurateur.pdf) précise : « Le conservateur-restaurateur se distingue d’autres professionnels (artistes ou artisans) par sa formation spécifique en conservation-restauration, et par l’objectif poursuivi, qui n’est pas de créer de nouveaux objets, ni de les réparer en vue de leur utilisation fonctionnelle. »

 

« Impossible de repérer la moindre couture, la moindre retouche, sur cette Transfiguration… comme si elle n’avait jamais été restaurée ! – Et pourtant, elle était en lambeaux quinze jours plus tôt. »

Sans revenir sur l’impossibilité de restaurer une telle œuvre en quinze jours, ni de passer d’une peinture sur toile en lambeaux à une œuvre en état d’origine … rappelons plutôt les grands principes d’intervention directe sur les biens culturels : stabilité (des matériaux employés, de l’intervention), réversibilité (possibilité de revenir ultérieurement sur la restauration effectuée sans endommager l'œuvre) et lisibilité (visibilité des ajouts de la restauration par rapport à  la matière originale)…

 

Enfin, ce n’est pas parce qu’on est le 8 mars, mais... selon une enquête réalisée par la FFCR en 2010 (non publiée), la profession de conservateur-restaurateur serait à 80% féminine. Où sont les femmes ?

 

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

 

 

28 janvier 2016

La figure du restaurateur dans la fiction (1)

 

Le conservateur-restaurateur étant un professionnel mal connu, il est intéressant de voir comment les auteurs abordent cette figure. Figure que j'ai intitulée restaurateur tout court car je n'ai pas encore trouvé d'ouvrage qui évoque vraiment le professionnel sous l'angle de la définition de l'ICOM (tel que décrit dans ce site à l'onglet : "Qui sommes-nous ?"). Je m’amuse régulièrement à relever ses évocations dans les livres et les films et me propose de vous en faire part régulièrement. Aujourd’hui, un restaurateur de peintures italien dans un polar américain : La fille aux yeux de Botticelli d’Herbert Lieberman (1995).

 

Le sujet : A Istanbul, un Botticelli est lacéré. A Rome, des toiles de maîtres sont mutilées, dont celles de cet artiste, et des femmes sont retrouvées mortes, énuclées. Quelqu'un, c'est clair, refuse que la plus grande rétrospective Botticelli de tous les temps se tienne aux USA…

 

Ce polar n’est pas le plus palpitant que j’aie lu, mais il a un intérêt, celui d’évoquer les coulisses de la préparation d’une exposition internationale : vente aux enchères, identification, montage d’exposition, mécénat, communication… et restauration. Le problème, c’est que manifestement l’auteur ne s’est pas penché en profondeur sur ce domaine, et que l’on relève surtout les clichés sur la figure du restaurateur !

 

Celui-ci est un génie, une sorte de sorcier même, qui dirige d’une main de fer un service imposant : « Torelli […] avait la réputation d’accomplir des miracles, et l’on prononçait son nom avec une sorte de respect mêlé de crainte. Il dirigeait son atelier des environs de Florence de la même façon que les grands centres hospitaliers urbains dirigeaient leurs services d’urgence. »

 

Son chef d’atelier est un artisan un peu rustre : « [Le conservateur] glissa sa carte de visite personnelle dans la grosse main maculée de peinture de Panuzzi. »

 

Comme il est très bon, il fait payer très cher et rend toujours son travail en retard : « Mais vous le savez aussi bien que moi, […] les restaurateurs sont des menteurs pathologiques. […] Chez eux, le retard est une question de principe. »

 

Il est entouré de jeunes assistants indisciplinés mais très doués, qui travaillent en fumant en pleine poussière : « […] Ils firent la visite [de l’atelier de restauration], une succession d’ateliers communiquant les uns avec les autres et où divers artisans sculptaient des statues à coups de ciseaux, étalaient des enduits et repeignaient des toiles élimées à petits coups de pinceau. Une douzaine de jeunes gens vêtus de tabliers en toile et de jeans maculés de poussière de plâtre s’interpellait d’un bout à l’autre de l’atelier. On fumait cigarette sur cigarette, vidait des gobelets de café ou d’eau pétillante, riait à gorge déployée par-dessus le vacarme des coups de marteau ou de ciseaux et échangeait parfois quelques insultes bon enfant sans interrompre jamais son travail. Aux yeux de Manship [le conservateur], ils avaient tout d’une bande de jeunes gens inexpérimentés, puérils et indifférents à la rigueur qu’exigeait leur tâche minutieuse. Mais après avoir rapidement examiné leur travail, force lui fut de reconnaître qu’il avait affaire à de véritables artistes, à des maîtres en la matière. »

 

Mais le mieux quand même, c’est que les interventions sont faites à la vitesse de la lumière et surtout, elles sont in-vi-sibles : « Bon sang ! s’écria-t-il. Impossible de repérer la moindre couture, la moindre retouche, sur cette Transfiguration… comme si elle n’avait jamais été restaurée ! – Et pourtant, elle était en lambeaux quinze jours plus tôt. »

 

On pourrait tirer de ces extraits un petit exercice amusant, comme dans les livres de jeux pour enfants : relever tout ce qui ne correspond pas à la réalité ! Réponses dans un prochain billet.

 

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

15 décembre 2015

Portrait du conservateur-restaurateur en agent secret

Le vendredi 13 novembre dernier, dans la journée, en transit ferroviaire entre un petit cours que je donne à l’université et mon atelier où m’attendait un travail urgent l’après-midi, en cette fin de semaine qui m’avait vu également partir trois jours pour une intervention en archives, je me suis fait la réflexion que nos plannings de conservateurs-restaurateurs étaient tellement complexes et peu prévisibles, que notre profession constituerait une parfaite couverture pour des missions secret-défense. Même nos proches n’y verraient que du feu. Imaginez : une profession dont très peu de monde ne connaît la réelle teneur, suffisamment spécialisée pour qu’on ne puisse pas vraiment en parler en détail sans voir rapidement décrocher notre auditoire, des déplacements fréquents et souvent différents, des rendez-vous qui se calent et se décalent à la dernière minute… Sans compter que comme nous travaillons généralement seuls, nous n’avons pas beaucoup de comptes à rendre à qui que ce soit, du moment que le travail commandé est rendu à temps. Les papiers administratifs, les charges d’entreprise, tout ça, j’imagine que cela pourrait être facilement réglé discrètement par les commanditaires des missions que l’on nous confierait… De plus, les émoluments de ces missions seraient certainement assez élevés, et correspondraient donc avec l’idée générale du grand public que notre profession, puisqu’elle touche à un patrimoine souvent prestigieux, est lucrative – alors qu’elle tire plutôt vers le smic pour la plupart d’entre nous.

 

Je trouvais cette idée assez drôle, je pensais déjà au billet que je pourrais en tirer.

 

Le soir même, il y a eu les attentats à Paris.

 

S’en sont suivis l’état d’urgence, puis les fichages et les assignations à résidence de personnes considérées comme suspectes, qui sont parfois de simples militants écologistes. Et là je me suis dit que finalement, en rajoutant au tableau le contenu de nos bagages : scalpels, solvants, masques respiratoires… si les services de renseignement examinaient nos activités, ils risqueraient plus de nous signaler comme potentiellement dangereux que de nous proposer un super job d’agent secret…

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

1er octobre 2015

De la gratuité du travail

Ce jour-là, j’étais venue de Bretagne en région parisienne pour réaliser un devis de restauration à la demande d’une grande institution patrimoniale. Quatre heures de route, j’avais un peu hésité à y aller, mais j’étais déjà intervenue sur un travail assez similaire pour la personne qui m’avait contactée, dans une autre institution. Je m’étais dit que c’était une marque de confiance, et que ce serait intéressant pour moi de mettre un pied dans cette institution.

Arrivée sur place, on m’a tout de suite précisé les choses : « Nous avons fait appel à vous, car le premier devis que nous avons fait établir ne nous convient pas. Vous comprenez, ce n’est pas nous qui payons, c’est le musée où doit être exposée l’œuvre, ils trouvent que c’est beaucoup trop cher. »

Précisons que le musée en question, récemment créé, a coûté selon diverses sources 350 millions d’euros (au lieu des 160 prévus). Il chipote donc sur un devis de restauration d’environ 2000 €, pour un objet de grand format qui demande plusieurs jours de travail et l’acquisition de matériel spécifique. Cette même institution a mis jusqu’à 1 an pour payer les factures de certains confrères et consœurs récemment…

Passons. Je suis là, j’ai accepté de venir, je prends des notes en vue de réaliser mon devis, un devis a minima donc. Et avant de reprendre la route, j’entends enfin cette phrase mémorable : « J’attends donc votre proposition. Vous comprenez, habituellement on travaille avec une autre restauratrice, mais là comme le musée tiquait sur le prix, on s’est dit qu’on faisait faire un autre devis. Après tout, c’est gratuit. »

C’est gratuit ? N’ayant aucun sens de la répartie, j’ai préféré ne pas répondre. Je fais maintenant le calcul : ce devis « gratuit » m’a coûté 140 € de frais d’essence et de péage (ce qui correspondrait à 615,80 € d’indemnités kilométriques – si j’étais indemnisée), 80 € de frais d’hôtel et de repas, et en temps de déplacement, deux journées... Pour une intervention qui, si j'obtiens la commande, coûtera 2 000,00 € HT au commanditaire, me rapportant en revenu moins de la moitié.

Alors, oui, j’ai accepté de venir gratuitement, bien sûr. Comme beaucoup d’entre nous, qui après 8 ans d’études en moyenne, gagnons à peine plus que le smic, dans l’espoir de pouvoir remplir un carnet de commandes qui n’est généralement pas rempli à plus de trois mois. Avons-nous le choix ?

J’aurais juste préféré ne pas entendre, en plus, cette phrase : « Un devis, c’est gratuit ». Qui m’en rappelle une autre, qu’on entend beaucoup actuellement, dans un autre contexte, à propos d’internet : « Si c’est gratuit, c’est vous le produit ».

Gwenola Furic, déléguée FFCR Bretagne

 

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